Porté par plusieurs réseaux, le plaidoyer européen en vue de faire muter le cadre de la commande publique a été approuvé à l’unanimité par l’assemblée délibérante de la Ville de Bruxelles lundi 25 mars dernier.
Un plan climat bruxellois retoqué par la Commission européenne mais des ouvertures juridiques à saisir à la faveur de la campagne pour les européennes.
Le plan climat de la Ville de Bruxelles a dû être retouché. Selon les services de la Commission européenne comme l’explique le journal belge L’Écho, en introduisant directement des objectifs de production locale, les Cuisines Bruxelloises auraient créé une préférence nationale dans les marchés de fourniture – les achats à destination des cantines -, ce qui n’est pas compatible avec le principe d’un marché ouvert auquel tout producteur a librement accès dans des conditions de concurrence effective .
Un tel positionnement de la Commission en dit long sur les limites de la doctrine juridique européenne en matière d’achat public. L’alimentation est ainsi vue comme simple “fourniture” déconnectée de tout enjeu territorial. Libre accès et concurrence sont pris en compte de manière abstraite, au risque que la sacralisation de la procédure vienne in fine contribuer à des objectifs contraires à ceux qui lui ont donné naissance : il n’y a ni libre accès ni libre concurrence, quand seuls des grossistes sont en capacité de répondre aux appels d’offre et quand un volume croissant de terres partent à l’agrandissement mais bien constitution et renforcement de positions oligopolistiques à chaque maillon de la chaîne de valeur. Tel est bien le paradoxe pointé par la Ville de Bruxelles contrainte d’annuler une procédure faute d’offre pertinente, à l’exception de pommes produites en Nouvelle-Zélande.
Pourtant comme le rappelle le plaidoyer porté par France urbaine et ses partenaires, les prospectives en matière d’agriculture plaident en faveur de la diversification des cultures et une relocalisation à différentes échelles des productions en vue de garantir la résilience de chaque territoire et ainsi de l’Europe elle-même et notamment de se prémunir contre les chocs logistiques, géopolitiques et énergétiques qui fragilisent des flux largement mondialisés. La crise sanitaire et la crise ukrainienne l’ont largement démontré.
La réponse de la Commission qui qualifie de “préférence nationale” l’articulation entre alimentation et circuits courts de proximité traduit également une vision erronée de la proximité en matière alimentaire. La Ville de Bruxelles ne défend pas une préférence nationale mais bien l’ancrage de l’alimentation dans une perspective de résilience et de santé globale du territoire. Le local n’a ainsi de sens que s’il contribue à une véritable citoyenneté alimentaire – le droit à chacun d’une alimentation choisie – et à la transition vers des modèles soutenables au profit de l’ensemble des États européens.
Un règlement systèmes alimentaires durables pour articuler cantines scolaires et résilience des territoires : un plaidoyer qui se diffuse en France, en Belgique, en Espagne
Pour sortir de cette ornière, les partenaires du plaidoyer en vue de libérer la commande publique soutiennent la mise à l’agenda d’un nouveau règlement sur les systèmes alimentaires durables prenant le pari que l’assouplissement est tout à fait possible, tout en respectant les principes de libre accès, transparence et efficience. Non pas détricoter le marché commun mais conforter une concurrence effective assise sur une pleine prise en compte des services écosystémiques rendus.
Ce manifeste se fonde sur trois grands principes :
- une approche en santé globale pour articuler les intérêts des parties prenantes : consommateurs, producteurs, territoires, environnement, l’échelle locale constituant le creuset de ces coopérations,
- une approche transpartisane,
- une approche européenne et de solidarités entre territoires, chaque territoire ne disposant pas des mêmes ressources.
Ce plaidoyer porté par France urbaine, Eating city, le centre Lascaux pour les transitions, Agores, la cellule wallonne Manger demain, en lien étroit avec les villes de Mouans Sartoux et Bruxelles, lancé en février dernier a depuis été relayé au niveau français par le réseau ALTAA (Alliance pour les Transitions Agricoles et Alimentaires) ou le RTES (Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire) et au niveau européen par le Pacte de Milan.
De nombreux territoires et réseaux représentant des territoires aussi bien ruraux qu’urbains se sont d’ores et déjà engagés dans le plaidoyer, certains étant en voie de délibérer sur ce point : la Communauté urbaine Le Havre Seine Métropole, Toulouse Métropole, Paris, Lyon, Allonnes, Dijon, Dijon Métropole, Montpellier, Besançon, Strasbourg et l’Eurométropole de Strasbourg, Fontenay-sous-Bois, Bègles, Harfleur, la société publique locale Erdre Cens Chezine Restauration Durable (La Chapelle-sur-Erdre), le syndicat mixte de la grande Tablée (Dole), Mouans Sartoux, les réseaux AGORES, Eating City, le Centre Lascaux sur les transitions, l’association espagnole Mensa Civica, le Pôle d’Equilibre Territorial et Rural du Nord de l’Yonne… D’autres territoires sont en voie de rejoindre la démarche, y compris des acteurs de niveau régional et départemental.
Un message européen et transpartisan pour réaffirmer des valeurs et des principes aujourd’hui fragilisés
Le plaidoyer porté par France urbaine et ses partenaires porte un message engagé, transparent assis sur des références claires dans un contexte de brouillage conceptuel préoccupant autour des notions de souveraineté et de résilience.
Les concepts de souveraineté et de résilience visent ainsi très directement ici, la faculté de l’ensemble des acteurs d’un territoire dans un esprit de solidarité et de réciprocité à élaborer une vision collective et partagée des modes de production souhaitables sur un territoire pour garantir la faculté de produire à court, moyen et long terme dans un contexte aujourd’hui fragile.
Souveraineté et résilience dans un tel cadre ne peuvent s’exonérer d’une réflexion de fond sur la qualité de l’eau, des sols, la restauration de la biodiversité, la réorientation de cultures mises en danger par une régulation plus complexe de la ressource en eau, la juste rémunération des producteurs, la qualité des conditions de travail…
Loin de véhiculer des principes abstraits, ce plaidoyer s’ancre dans l’expérience quotidienne des élus locaux. La régulation des usages de l’eau, le financement des coûts engagés pour maintenir ou restaurer sa qualité, la régulation de l’usage des sols et du foncier relèvent de fait des prérogatives des élus, en articulation avec leurs partenaires.
La mobilisation de l’achat public, notamment des cantines, pour soutenir les producteurs dans leur démarche de transition constitue dans ce cadre un enjeu essentiel et un signal fort adressés à toutes les échelles de décision face à des reculs qui pourraient demain amener chaque acteur y compris local à financer à prix fort des coûts de transition et d’adaptation pourtant connus et inéluctables qui n’auront pas été assumés plus tôt.
Un plaidoyer ouvert jusqu’à juin, un webinaire de suivi de la démarche avec les principaux partenaires le 26 avril à 15h
En vue de suivre le plaidoyer, un webinaire de suivi sera organisé le 26 avril à 15h, en présence des coprésidents de la Commission Stratégies alimentaires territoriales de France urbaine, Audrey Pulvar (Ville de Paris) et Christian Grancher (Communauté urbaine Le Havre Seine Métropole), aux côtés des partenaires français et européens porteurs de la démarche.